marcel
Pays Basque, 2003
Marcel a fait un peu tous les boulots, aujourd’hui il est berger sans troupeau. Un vrai berger, mais qui surveille les brebis des autres.

Tous les ans, du mois de Mai à Novembre, il monte vivre au « cayolar » Arratzolatzé sur les terres de Larrau, prés de la forêt d’iraty, en face du pic d’Ory. Il y vit seul, en harmonie, léger et bercé par le lent va et vient des brebis sur les montagnes vertes. Il fait sa soupe tous les jours et donne à manger tous les soirs à trois cochons en pension qui rappliquent à six heures précises. Après tout ça et quand il a du temps de libre, Marcel regarde la montagne, il la regarde pour ses copains, pour leurs brebis qui sont attirées comme les bergers à toujours vouloir passer « de l’autre coté » (de l’autre coté c’est l’Espagne, les ventas, le vin...).

En cas de problème, il est là. Il connaît bien cette montagne qui n’est pas la sienne non plus, il y connaît chaque rocher, chaque forme de troupeau. Les vautours lui présentent la météo chaque jour, il leur fait confiance car ils ne se trompent jamais. Marcel n’y est jamais malade, il n’est pas malade parce qu’il ne va pas voir le docteur. Il dit que c’est pas la peine de faire la vaisselle si c’est pour pas l’essuyer, il dit aussi que la nuit il faut tenir les chiens dedans sinon ils foutent le bordel dehors avec les brebis... Il les aime ses brebis, ses brebis qui ne sont pas à lui. Il attend que la dernière soit redescendue pour rentrer à son tour au village pour passer l’hiver. D’ailleurs, ce jour là, Marcel est triste. Il n’a pas envie de descendre à Barcus, il y trouverait pourtant tous ses copains, les foires, la bringue et les virées. Mais non, il dit qu’il s’en fout, il veut pas partir.

La dernière qu’il nous a fait ce matin là, Marcel nous l’a fait en souplesse, tout en douceur... Le soleil brillait, ses volets étaient fermés, il était presque neuf heures. Son chien « Pettit » était au pied de son lit et Marcel dormait encore, pour de vrai et cette fois-ci pour toujours. A ce moment là, du bourg à la place du village à Barcus, on a entendu dans le ciel : « Faites pas chier ».

On compte aujourd’hui les bergers sur les doigts de la main, les vrais, ceux qui restent là haut du bourgeon du printemps jusqu’au flocon d’hiver. En Soule, les femmes et les hommes sont réduits à travailler dur toute l’année à la ferme pour pouvoir vivre au pays, survivre, … ou suivre. Ils ne peuvent plus s’absenter pour résider en montagne plusieurs mois, surveiller et s’occuper de leur bêtes qui savourent une totale liberté.

Aïtani (mon grand père) a perdu un copain pour jouer aux cartes, un de plus, et le cayolar d’Arratzolatzé sans doute son dernier berger, … mais à Barcus, Marcel est vivant et pour un bout de temps.
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